Et après ? Le phare dans la tempête…
Dans un article précédent, j’indique que si cette crise est pour l’instant de l’ordre sanitaire, la vraie crise, en partie encore à venir, sera sociale, politique et économique. C’est aussi, comme toute les crises, une question de sens, c’est à dire aussi spirituelle (au sens large).
J’espère et je crois que le monde moderne, grâce à son efficacité (et malgré tous ses défauts) et grâce aussi à l’engagement humain du monde médical, va tôt ou tard trouver des solutions (médicaments, vaccin) au volet sanitaire de cette crise. En espérant que cela ne va pas être trop long…
Alors, pendant que les héroines et les héros du monde médical s’occupent de nous, on peut commencer à réfléchir à l’après (pour mes conseils sur la crise elle-même, lisez ici et ici).
Réfléchir à l’après, c’est aussi un bon moyen de garder le moral… et de se donner un cap, comme le phare dans la tempête. C’est l’attracteur étrange dans les Théories du chaos.
Ce que nous disent les Théories du chaos
Alors pour commencer, observons la situation du point du vue des Théories du chaos.
D’après les théories du chaos (plus de détails ici), une fois passé le point de déclenchement (le Tipping Point) le « système » va soit s’effondrer (seconde loi de la thermodynamique) soit donner lieu à une émergence vers un nouveau système, un nouvel équilibre, toujours plus complexe.
Plus complexe ?
Les émergences c’est ce qui nous permet d’être là 🙂
Ainsi, de l’atome, à la molécule, à la cellule vivante, à l’organisme et jusqu’au mammifère et l’être humain (en particulier son cerveau), sont apparus des systèmes de plus en plus complexes.
Alors effondrement ou émergence ?
J’adore le travail de mes amis collapsologues, en particulier Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle (que je connais bien, salut Gauthier !) ou encore Yves Cochet (je vous conseille de lire son interview ici).
Leurs travaux me paraissent indispensables et je partage l’essentiel de leur analyse. Je vous conseille vivement en ces temps de confinement la lecture de leurs livres.
Et oui, comme eux, je crois que le monde tel que nous le connaissons peut s’effondrer (ou est en train de s’effondrer ?)
Aussi, il me paraît important de ne pas être naïfs et de se préparer à un effondrement possible.
Je me sens très privilégié d’être en ce moment dans ma maison résiliente qui a été conçue pour apporter plus de résilience à ma famille, mes voisins et la communauté au sens large.
De la même manière, je trouve rassurant et amusant de travailler avec détachement sur la préparation de mon go Bag.
Je crois au possible effondrement. Et je crois aussi à une autre possibilité, celle de l’émergence.
Les temps des émergeologues
Alors, mon message c’est de ne pas seulement se préparer à l’effondrement mais aussi, surtout, de travailler sur une possible émergence vers un nouveau système, n’ayons pas peur des mots : une nouvelle civilisation.
Et si je vous conseille de lire les livres des collapsologues, je vous conseille aussi de lire les livres des émergeologues (j’avoue, je viens d’inventer le mot), à commencer par celui que je considère comme l’émergeologue en chef : Edgar Morin.
Vous pouvez aussi lire mon livre Chaos, mode d’emploi dans lequel je décrivais déjà à quoi peut ressembler le monde d’après (si vous lisez l’anglais, vous pouvez télécharger mon livre ici).
Effondrement ? Emergence ? Ou les deux ?
Souvent on me demande s’il ne va pas pas plutôt y avoir effondrement ET émergence. La réponse c’est que cela dépend de l’échelle d’observation.
Comme nous l’avons vu, d’après les Théories du chaos, une fois passé le point de déclenchement (le Tipping Point) le « système » va soit s’effondrer (2ème loi de la thermodynamique) soit donner lieu à une émergence, vers un nouveau système plus complexe.
Donc on peut dire que pour UN système il ne peut pas y avoir effondrement ET émergence. C’est soit l’un soit l’autre.
Mais bien sûr il n’y a pas qu’un seul système. Il y a des multitudes de systèmes plus ou moins liés les uns aux autres. Vous êtes un système. Votre famille est un système. Votre entreprise est un système. Votre ville est un système. Votre pays est un système. L’humanité est un système. La galaxie est un système, etc.
Donc même si pour chaque système, c’est soit l’effondrement soit l’émergence, de manière plus globale, on observe certains systèmes qui s’effondrent (et parfois c’est une bonne nouvelle…) et d’autres qui émergent.
Pour moi, une question importante, c’est comment faire pour que le « système humanité » (lui-même au sein du système « planète Terre ») fasse une émergence vers un nouveau système plus harmonieux, plus juste, et où chacun trouve sa juste place.
Dit autrement, comment inventer une nouvelle manière de vivre en harmonie à 8 ou 10 milliards d’êtres humains avec notre petite planète ?
Des idées offertes par le vivant ?
Dans un article sur comment le vivant peut nous inspirer, je montre que le vivant a su s’adapter depuis des millénaires pour survivre, se développer et évoluer dans des environnements naturellement chaotiques et turbulents.
Aussi, observons quelques caractéristiques de chaque cellule, élément de base du vivant, qui ont permis cet exploit.
Un but plus élevé
Une cellule accepte de travailler pour le bien-être et la survie de l’ensemble du corps d’abord, et pour ses propres intérêts en second seulement. La cellule est prête à se sacrifier et à mourir pour protéger ou assurer le développement de l’ensemble. Chacune de nos cellules ne vit ainsi qu’une fraction du temps de ce qui va être notre vie.
L’égoïsme, l’égocentrisme pourront-ils encore exister dans le monde d’après?
Conscience
Une cellule est consciente de chaque instant. Elle est capable de s’adapter à tous changements de circonstances, même soudains, et d’y répondre de manière adéquate. Être enfermé dans des habitudes immuables n’est pas une option viable.
Allons-nous pouvoir tout remettre en question et nous réinventer ?
Altérité
Une cellule accepte et reconnait l’importance de tous les autres types de cellule. Chaque fonction du corps est importante et interdépendante.
Le chacun pour soi, le repli sur soi, le refus de la diversité auront-ils encore leur place dans le monde d’après ?
Créativité
Même si chaque cellule a un rôle bien déterminé, les différents rôles se combinent de manière créative. Ainsi, nous sommes capables de digérer de la nourriture que nous mangeons pour la première fois de notre vie, de danser une danse inconnue et surtout d’avoir des idées jamais pensées précédemment.
Une crise majeure, c’est souvent l’occasion de faire des changements auquels on ne croyait plus…
Efficacité
Une cellule fonctionne avec le minimum nécessaire d’énergie. Elle en stocke également une très faible quantité, l’équivalent de trois secondes d’alimentation. Elle fait complètement confiance à l’ensemble pour lui fournir ce dont elle a besoin. Une consommation excessive de nourriture, d’eau, d’énergie n’est pas une option viable.
Vivre en harmonie avec les autres, en harmonie avec le vivant et la nature vont-ils être les nouveaux paradigmes dans le monde d’après ?
Le lien
Au-delà des différences et des spécificités, une cellule sait qu’elle partage le même ADN que ses congénères. Les cellules du foie sont différentes de celles du cœur. Les cellules de la peau sont différentes de celles du cerveau. Mais elles savent toutes qu’elles partagent une même identité qui les transcende.
Va-t-on inventer ensemble un monde ou chacun a sa place ?
Vous pouvez retrouver d’autres caractéristiques du vivant qui peuvent nous inspirer ici.
Alors, on fait quoi ?
Demandons-nous si nous pourrions être comme les cellules, non pas cette fois à l’échelle de cellules dans un corps, mais à l’échelle d’êtres humains et de l’humanité.
Alors, nous pourrions, naturellement et instinctivement trouver les moyens non seulement de survivre, mais surtout de vivre et de s’épanouir individuellement et collectivement à l’échelle de l’humanité.
Nous réussirons alors l’émergence décrite par les théories du chaos. Ce que Edgar Morin appelle la métamorphose.
Nous serons ainsi capables de réaliser notre propre métamorphose et la métamorphose de l’humanité vers un système plus complexe et plus harmonieux où chacune, chacun, trouverait naturellement, organiquement, sa place.
Ce n’est pas réaliste ? C’est un rêve ?
Normalement, c’est là que les membres de la tribu des Houimais surgissent avec leur : « c’est bien gentil tout çà, mais c’est un rêve, cela n’est pas possible dans la réalité. Elles sont où tes idées pratiques ? »
Alors mon conseil, c’est d’être gentil et indulgent avec les Houmais que vous rencontrez (et avec le Houimais qui est en chacun d’entre nous…)
Dans les grandes transitions, c’est toujours difficile de voir le nouveau monde emerger 🙂
Je conseille par exemple, de commencer par des films ou livres super pratiques et pédagogiques comme le film Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent, ou le livre Un million de révolutions tranquilles de Bénédicte Manier.
Dans la tempête, c’est justement cela le phare qui nous donne le cap : les rêves et la capacité d’imaginer l’après 🙂
Alors, on s’accroche pendant la tempête, on se tient les coudes et on réfléchis à la suite ?
« Dans les situations désespérées, la seule sagesse est l’optimisme aveugle » – Jean Dutourd
UPDATE
J’aime beaucoup ce que dit Gaël Giiraud, en particulier sur les communs, la relocalisation et l’écologie (merci Isabelle).
Je le met clairement dans la tribu des émergeologues !
J’aime beaucoup aussi l’idéee de François (merci !) :
Je suis convaincu que de la crise « émergera », en fait se consolidera parce qu’elle déjà émergé, une génération Covid : une jeunes génération qui se dira qu’on est passé près d’un certain effondrement (de nos économies, de nos certitudes, de certaines de nos priorités), que celui-ci est en effet possible, et que nous ne pouvons plus subir les choix sans utiliser notre liberté de changer la direction du monde. Je crois que cette génération va nous pousser vers plus de radicalité écologique, sociale et humaniste et c’est tant mieux.
Et l’idée de Thierry (merci !) :
Je suis pour une synthèse entre la pensée asiatique qui dit « à chaque vent, un cap » ET notre pensée cartésienne qui dit « il n’y a pas de vent favorable pour qui n’a pas de cap ».