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Sam Yu et les challenges de l’Internet des objets

Sam Yu et les challenges de l’Internet des objets

Coréen de naissance, Sam Yu est parti aux États-Unis à l’âge de 17 ans pour y étudier à l’université de San José, puis à l’université de Stanford, dont il est ressorti avec un master en gestion technique (engineering management). De retour en Corée, il a passé pas moins de sept ans sur une joint-venture entre deux compagnies alors nouvelles et florissantes : Samsung et Hewlett-Packard. Sam a ensuite dirigé Microsft Korea pendant plusieurs années.

Regarder l’interview (en anglais)

Le cycle d’adoption des technologies

À la question de savoir si, en plusieurs décennies de carrières dans l’informatique, il était devenu une sorte de techno-gourou, Sam Yu répond par la négative. Il préfère se définir comme un « étudiant du cycle d’adoption des technologies ». En d’autres termes, il se définit comme un spécialiste et un expérimentateur de la théorie de la diffusion de l’innovation de Geoffrey Moore, qui décrit comment une technologie ou un produit foncièrement nouveau va se diffuser différemment entre des groupes de consommateurs distincts. Yu remarque que le schéma moorien lui a donné un « cadre de travail », non seulement pour considérer son public-cible, mais aussi pour enseigner à d’autres comment s’adapter à leur propre public.

Dans les années 1990, Yu s’est vu nommer président de Microsoft en Corée. En parallèle de son travail, il a pris le temps de traduire le principal livre de Geoffrey Moore (Crossing the Chasm: Marketing and Selling High-tech Products to Mainstream Customers, 1995) en coréen. « J’ai évangélisé les gens à la théorie de Moore », plaisante-t-il, « ce qui m’a d’ailleurs permis de le côtoyer » entre autres bénéfices inattendus.

Pour Sam Yu, bien que ladite théorie date d’une ère où l’informatique était bien moins développée, elle s’appliquerait toujours aujourd’hui. Yu se montre convaincu que la prochaine innovation majeure sera l’Internet des objets, soit l’extension de la Toile à des choses de la maison, des véhicules, des immeubles et autres lieux physiques. L’Internet des objets aurait devant lui un fort potentiel de développement. Cependant, remarque Yu, ce développement est encore limité par deux problèmes importants.

Le grand challenge de l’Internet des Objets

Premièrement, les objets de différents fabricants doivent être compatibles entre eux afin de fonctionner sans heurt. Si l’on a un mobile LG, un sèche-linge Samsung et une machine à laver d’une troisième marque, tous ces appareils vont-ils fonctionner correctement les uns avec les autres ? La question est d’autant plus aigüe que ces fabricants, étant tous concurrents entre eux, sont davantage portés à se battre pour des parts de marché qu’à coopérer. « Les objets connectés doivent fonctionner harmonieusement les uns avec les autres », affirme Yu. La compatibilité entre fabricants doit être mise à l’ordre du jour : cela implique que ceux-ci travaillent de façon plus coopérative, chose que Yu avoue avoir du mal à imaginer.

Deuxièmement, outre la compatibilité, la sécurité ne serait pas assurée. La racine de confiance (root of trust), un élément-clé en ce qui concerne la fiabilité d’un objet connectée, manque. « La technologie n’est tout simplement pas présente », constate Yu. « Des téléphones Apple, des puces Qualcomm, ont eu des numéros de carte de crédit piratés », en raison d’après lui de la présence en un même lieu du contenu encrypté et de la clé de décryptage. Si l’on en vient à l’Internet des objets, les risques vont au-delà d’un simple vol. Que l’on pense à une voiture capable de conduite automatisée : si un pirate parvenait à voler la signature numérique de son usager légitime et à en obtenir le contrôle à distance, il pourrait en faire ce qu’il voudrait, y compris foncer sur des passants ! Une racine de confiance bien faite ne laisserait aucune place à ce genre d’intrusion, et à ce jour, la garantie de cela n’existe pas.

La confiance infalsifiable

C’est ici que le projet auquel Yu s’attelle en ce moment rentre en jeu. Il s’agit de semi-conducteurs fabriqués de telle manière que chacun dispose d’une identité précise, bien reconnaissable, parmi un nombre indéfini de combinaisons possibles. Ces dispositifs hardware servent à garantir qu’un objet connecté n’« écoutera » que son ou ses propriétaires légitimes et personne d’autre.

Comment cela fonctionne-t-il ? En quelques mots, les semi-conducteurs sont exactement similaires les uns aux autres ou fabriqués avec des différences minuscules et pourtant reconnaissables, donc suffisantes pour que chacun d’eux possède une identité propre impossible à répliquer. Ces objets sont appelés des fonctions physiques inclonables (Physical Uncloneable Functions). Leur seule présence empêcherait un intrus distant de prendre le contrôle. Physiquement parlant, certains objets dits « inclonables » ont déjà été clonés. Seuls ceux avec lesquels Yu travaille, d’après lui, seraient impossibles à répliquer. Une avancée extrêmement importante en matière de sécurité qui devrait arriver sur le marché à la fin de l’automne 2017 ou l’année prochaine. « C’est une contribution d’ampleur mondiale », s’enthousiasme Yu. Pour encore plus de sécurité, il sera possible d’utiliser un grand nombre de ces puces électroniques sur un seul objet – une petite voiture électrique pourrait ainsi avoir 60, 120, ou même 250 puces sur elle – afin d’assurer une protection optimale contre tout risque de réplication de clé de sécurité.

Infalsifiable et non-clonable

Plusieurs milliards de milliards de milliards de ces puces pourront être produites chaque année. Chacune d’elles ayant une identité absolument unique, cela laisse imaginer un nombre astronomique de combinaisons potentielles, comme pour les empreintes digitales ou l’ADN.

Bien entendu, cette technologie fourmille d’usages potentiels. Toutes sortes d’objets pourraient être identifiés de manière sûre : des objets de maison ou des objets nomades, mais aussi des animaux, ou même des humains, s’ils acceptent de se laisser placer une micro-puce sous la peau.

Se rappelant de la théorie moorienne de l’adoption des nouvelles technologies, Yu tient à faire remarquer que l’Internet des objets n’en est qu’à ses débuts. Il ne devrait être implanté prochainement qu’à petite échelle, sur des objets de taille restreinte ou vendus à un marché de niche. Les objets connectés et leurs puces semi-conductrices de sécurité en ont encore pour plusieurs années avant d’atteindre la masse des consommateurs. Ceux-ci, d’ailleurs, ont plutôt de quoi être effrayés par les nombreux piratages d’objets connectés (des mobiles notamment), et il s’agira donc de leur donner des gages en termes de sécurité avant qu’ils ne s’engagent à aller plus avant.

Yu profite de son intervention pour critiquer la mode du Big Data. Les titans du web 2.0 comme Amazon, Facebook ou Alibaba.com, qui sont à l’avant-garde du maniement de gros volumes de données, auraient selon Yu une vision « biaisée » du marché, due au fait qu’ils ne traitent que leurs propres clients. Existe-t-il un échantillon vraiment représentatif ? Même si ces entreprises ont une très large base, elles laissent dans l’ombre de nombreux « non-clients » que le soi-disant Big Data ne prend jamais en compte. L’Internet des objets visant encore plus large, il est tout à fait possible que son avènement laisse découvrir des consommateurs ou des phénomènes encore inconnus, et on ne saurait dire quels cygnes noirs se cachent au tournant.

Comment être prêt pour le futur ?

Lorsqu’on lui demande s’il aurait quelque chose à dire à des jeunes se préparant pour le futur, Yu se rappelle trois questions qu’un haut cadre de HP lui a posé alors qu’il l’hébergeait en Corée du sud. Ces questions sont les suivantes :

  1. quelle contribution faites-vous au projet, à l’entreprise, à la communauté… ?
  2. qu’apprenez-vous ou qu’avez-vous appris en y travaillant ?
  3. et enfin, éprouvez-vous du plaisir à faire le travail que vous faites?

Après s’être vu poser ces questions, Yu les a lui-même reposées à son tour à ses propres employés ou à des jeunes. « J’ai toujours eu de bonnes réponses », se rappelle-t-il. Yu s’est aussi rendu compte que, lorsque lesdites questions lui reviennent naturellement à l’esprit au sujet de son propre travail, c’est signe qu’il est temps pour lui de changer de poste. Chose que Yu a constamment faite, puisqu’il a changé d’emploi ou de fonction tous les trois à cinq ans.

Toutes ces questions touchent des éléments cruciaux de la vie, pense Yu. Apporter une contribution à quelque chose est essentiel : « quand vous ne faites que prendre, les gens ne vous respectent pas. » Dès lors, il semble essentiel d’être doté d’un sens du but, d’un désir de faire, d’une idée de la raison pour laquelle on fait ce que l’on fait. L’aspect d’apprentissage importe tout autant : « grandir, psychologiquement, spirituellement », devenir mieux informé et plus expérimenté, est une véritable trame de l’aventure.

Enfin, affirme Yu, travailler doit aussi être plaisant, dans un sens ou dans un autre. Si ce n’est pas l’élément le plus souvent évoqué du développement de carrière ou de l’entrepreneuriat en général, « le plaisir se doit d’être présent, lui aussi. »

Pour en savoir plus sur le projet de Sam Yu, visitez le site de ICTK

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