Le futur du plastique selon Jeannette Garcia
Comme dit le proverbe, la valeur n’attend pas le nombre des années, et la jeune femme que je vais vous présenter aujourd’hui en est une preuve vivante. Chimiste, ingénieure, Jeannette Garcia a initié un programme de recherche qui pourrait provoquer une véritable révolution dans le domaine des plastiques. Et elle n’a que 33 ans !
Nous nous sommes vus à la Reaction Conference qui a eu lieu en République Tchèque et où j’intervenais également pour montrer comment prospérez dans l’incertitude.
Regarder l’interview (en anglais)
Des plastiques à développement durable ?
Le plastique a une sale réputation. Il est synonyme d’énergies fossiles, de dépendance à des ressources non-renouvelables, de pollution. Nous avons tous vu et nous nous sommes tous émus devant ces photos d’oiseaux rares piégés dans des sacs plastiques, de tortues prisonnières de filets à fruits. Si vous êtes attentif à ce que vous mangez, vous connaissez sans doute le bisphénol A, un perturbateur endocrinien que l’Agence européenne des produits chimiques considère comme « substance à haut risque » et que l’on trouve notamment dans les biberons et les boîtes de conserve. Malgré cela, nous continuons à vivre au quotidien au milieu d’objets en plastique.
La plupart des objets inventés après les années 1950 n’ont pu exister que grâce à cette matière devenue omniprésente. Sans plastique, vous ne seriez pas en train de lire ce texte sur un ordinateur ou un smartphone. (Il existe des ordinateurs qui remplacent le châssis plastique par du bois et du métal magnifiquement sculptés, mais ces belles machines sont plutôt chères.) Et soyons honnêtes : oui, les bouteilles en verre et les Tupperware en verre sont certainement plus sûrs au point de vue santé, pour autant allez-vous les transporter lorsque vous voyagez déjà avec de gros bagages ? Entre une bouteille plus lourde que le liquide qu’elle contient, qui se brisera en mille morceaux si elle vous tombe de la main, et la fine, légère bouteille en plastique que nous voyons au supermarché, qui peut tomber dix fois sans vous laisser tomber, laquelle est la plus pratique ?
Les plastiques ne disparaîtront pas de sitôt. La vogue du vintage ne les chassera ni de notre quotidien, ni des océans où ils flottent au gré des grands courants par millions de tonnes. Dès lors, le but ne devrait pas tant être de se débarrasser des plastiques que de faciliter leur recyclage et leur élimination. Et c’est justement la spécialité de mon invitée.
Jeannette Garcia a obtenu son doctorat en chimie en développant des catalyseurs produisant de petites molécules. Avant la fin de ses études, elle était embauchée par IBM. Elle est aujourd’hui une chercheuse en vue dans le domaine des plastiques et l’un des 35 « innovateurs de moins de 35 ans » de la prestigieuse MIT Technology Review. Or, elle affirme que les plastiques peuvent s’insérer dans l’agenda du développement durable. Il s’agit d’en créer de nouveaux qui seront susceptibles d’être recyclés plus facilement et de rendre ceux déjà existants plus simples à remodeler.
Certaines ondes lumineuses ou sonores auraient la propriété de provoquer la désagrégation des agrégats en plastique. S’il est possible de généraliser ce phénomène, cela pourrait résoudre l’un des plus gros problèmes d’écologie qui se posent actuellement et surtout transformer quantité de déchets en un tout nouveau champ de matière brute. Le problème avec bon nombre de plastiques est qu’une fois solidifiés, ils ne fondent plus, ne se désagrègent pas : c’est justement cela qui les rend si longs à se biodégrader. Ces plastiques ne sont pas assez plastiques. La racine latine plastikus, dont le terme actuel est issu, référait à la base à ce que l’on pouvait modeler ou remodeler… et le programme de recherche conduit par Jeannette Garcia pourrait bien rendre les plastiques plastiques à nouveau.
Les plastiques solides n’ont absolument rien de neuf. Nous nous en servons partout, de l’électronique aux avions… en revanche, le plastique thermodurcissable que Garcia a conçu peut revenir à son état de base (un simple ensemble de monomères) une fois baigné dans l’acide. Avec les bons monomères et la bonne température, Garcia peut fabriquer à la fois des plastiques très forts et recyclables et des gels moulables que l’on peut solidifier à volonté en les exposant à des ultraviolets.
Pour l’instant, seuls quelques plastiques nouveaux peuvent être désagrégés et remoulés (donc recyclés) à volonté. Cependant, « la technologie change vite », ajoute-t-elle. Dans les dix ans à venir, nous devrions assister à l’émergence d’autres nouveaux plastiques et surtout à des progrès importants en matière de traitement des déchets.
On pourrait alors envisager un nettoyage à échelle mondiale. De grands filets, placés aux points stratégiques où passent les grands courants océaniques, captureront sacs, bouteilles, boîtes et bien d’autres déchets du même acabit. Pour le recyclage, ces objets sont un défi : ils se sont dégradés au fil du temps, « à cause de l’exposition aux UV, à l’eau salée », à l’oxydation… « leur composition chimique a changé » depuis qu’ils se sont mis à flotter. Et pourtant. Si la recherche avance suffisamment, ces déchets synthétiques pourraient bien redevenir modelables et retrouver une place dans notre quotidien.
Arrivera-t-on à un monde où les objets en plastique peuvent être fondus, ou éclatés, puis redevenir une matière première que l’on remodèlera indéfiniment ? Jusqu’où le cycle de production peut-il devenir une boucle fermée, qui n’imposera plus à la planète ni torchères ni dépotoirs marins ?
Pourquoi IBM ?
Tout en écoutant Jeannette Garcia évoquer ces possibilités, je me suis étonné de l’entreprise pour laquelle elle travaille. IBM est une entreprise informatique et pas un fabriquant de bouteilles d’eau. Comment une spécialiste des plastiques peut-elle se retrouver au sein d’un géant des processeurs ?
« IBM sous-traite la production de masse des parties plastiques [de ses ordinateurs]. Néanmoins, ils conçoivent leurs propres matériaux, notamment pour les semi-conducteurs ». L’entreprise procède à une concentration verticale. Plusieurs activités auparavant externalisées sont maintenant bien présentes au sein d’IBM. Cette politique se serait imposée lors de la course à la miniaturisation : « beaucoup d’innovations », précise Garcia, ont eu lieu suivant l’impératif du toujours plus petit. La chimie des polymères aurait joué un rôle clé dans l’émergence de puces et de circuits plus épais. (J’ajouterais que les gérants d’IBM se sentent peut-être responsables de la fabrication de millions de parties plastiques dures, pour l’instant non-remodelables, et mettant des siècles à se biodégrader. Peut-être sentent-ils que « nettoyer la planète » est aussi leur responsabilité…)
Dans le monde des plastiques, rendre ceux-ci « plus recyclables » et intégrés au développement durable serait devenu la tendance numéro un. Des universités, des laboratoires privés, des grandes entreprises travaillent ensemble au même but. Cela va-t-il vraiment déboucher ? Le plastique auquel Garcia doit son statut d’innovatrice est à la fois très solide et très facile à désagréger puis remodeler si l’on connaît la procédure. Aucune raison, après tout, pour que ce pas en avant soit le dernier.
Prêts pour le futur
À la fin de notre brève mais gracieuse rencontre, je pose à Jeannette Garcia la même question que j’aime poser à tous mes invités. S’ils sont assez intéressants pour avoir des choses à nous apprendre, ils doivent aussi avoir quelques idées sur comment faire face au futur… Garcia ne fait bien entendu pas exception. À un garçon ou une fille de 15 ans (ou de 35 ?) qui voudrait se préparer, elle donne les conseils suivants :
- Trouvez quelque chose qui vous passionne. N’importe quel domaine ou problématique du moment que cela vous intéresse vraiment. « Vous bougez, vous agissez, parce que vous en avez vraiment envie. »
- Instruisez-vous. Prenez le temps d’apprendre, jusqu’à devenir un expert.
- Acceptez l’existence d’un certain nombre de perspectives différentes, irréductibles les unes aux autres, dont la compréhension enrichira vos pensées et votre perception du monde.
Un tapis en plastique recyclé au pied de votre lit et un canapé en bouteilles dans le salon vous aideront probablement aussi.
Pour en savoir plus sur les projets et les recherches de Jeannette Garcia, consultez sa page IBM (en anglais).