Natural Step et le Développement Durable Stratégique
Caroline Gervais est la spécialiste française de Natural Step, une démarche de développement durable qui est une approche incroyablement intéressante parce qu’au niveau stratégique et global. Passionnant et indispensable !
Caroline, passionnée dès sa jeune enfance par la tectonique des plaques, a découvert le développement durable auprès de Tim Jackson en Angleterre.
A son retour en France, après avoir découvert l’approche Natural Step, elle a décidé de promouvoir cette démarche stratégique auprès des entreprises françaises.
Natural Step
Natural step est une démarche qui a été développée en Suède à la fin des années 80 par le Dr. Karl Henrik Robert. Il avait l’intention de donner un langage commun pour parler de ce « truc » un petit peu compliqué à appréhender, qu’est le développement durable. Il s’est dit que quand on a une personne qui est malade, on arrive à faire travailler plein de gens. La société va s’organiser, les familles, les amis pour résoudre un problème qui est finalement relativement confiné et assez facile à appréhender. Et pourtant les mêmes personnes tout au long de leur quotidien, vont avoir des comportements, des choix de mode de vie qui vont dégrader l’environnement et donc il en a conclu que ce n’était pas une histoire de mauvaise volonté mais une difficulté à appréhender ce qu’est le développement durable. Et étant scientifique il a dit, on a aussi une responsabilité en tant que scientifique, non seulement de batailler sur le détail mais aussi de proposer un langage qui permette à tout un chacun, expert, non-expert de pouvoir discuter ensemble de ce sujet et de cet enjeu qui est le développement durable.
Des scientifiques, des entreprises… et le groupe ABBA
Carlen Rick Roberts va fêter ses 70 ans cette année. Il a eu dès le départ cette intelligence de dire : « ok j’écris une première version et je la fais lire à d’autres scientifiques qui bien sûr vont chercher l’erreur ». Il y a eu 21 versions qui ont été revues et corrigées. Et en parallèle il est allé voir la télévision, les entreprises et même le groupe ABBA ! Ils ont produit un disque pour soutenir la démarche.
9 mois après avoir eu cette idée, cette démarche a été présenté en prime time à la télévision suédoise sous le patronage du roi. Ca nous a fait un petit peu ricaner en France mais le roi, c’est quand même quelque chose pour les suédois. Tous les foyers suédois ont reçu un livret et une cassette audio qui raconte les clés de cette manière de penser, le développement durable pour que tout un chacun puisse l’appréhender.
Se connecter à la réalité
Il y a plusieurs éléments clés dans la démarche Natural Step. Le premier élément est de se connecter à la réalité de l’enjeu. Cela est exprimé sous la forme d’une métaphore qui est représentée par un entonnoir : on a une diminution de la quantité et de la qualité des ressources naturelles et une augmentation de la population.
Ce que propose cette démarche, c’est de trouver la sortie de l’entonnoir !
4 principes
Quand la baignoire déborde, qu’est-ce que tu fais? Dans nos sociétés aujourd’hui, on est plutôt en train de plonger, à droite, à gauche. Alors que là, la proposition c’est de savoir où se trouvent tous les robinets !
Ce n’est pas parce que tu sais où sont tous les robinets que tu sais forcément comment fermer tous les robinets. Mais en tout cas, tu sais où est la question. Et donc là, le principe c’est de se dire que l’on va aller chercher à l’amont, à la source, se dire, dans la planète terre, il y a un système qui est dynamique et qui génère de la matière qui est utile et structuré. Et puis nous, on arrive dans ce système et depuis 200 ans on ne fait que créer plus de désordres.
Parce que, quand on a créé des beaux objets comme des téléphones portables, pour créer quelques grammes de matières organisées on a créé 200 kilos de matières dispersées. Et donc, la proposition c’est dire : on interagit avec le système, et il y a 4 manières d’interagir avec le système qui sont ces quatre robinets.
Limiter la concentration des substances extraites de la terre dans la biosphère
De manière systématique, la concentration dans la biosphère de la substance extraite de la croûte terrestre, les métaux, minerais et hydrocarbures augmente. Et ce n’est pas de dire dans des sociétés durable, il ne faudra plus utiliser de plomb, mais que dans des sociétés durables on maitrise le décalage entre ce qui est produit par l’activité humaine et ce que la nature sait gérer.
Arrêter la dispersion dans la biosphère de substances produites par l’activité humaine
Deuxième façon de créer des problèmes ce sont toutes les substances générées par la société. Ca peut-être des substances qui existent naturellement, de type CO2. Mais sauf que nous, on arrive à en générer des quantités astronomiques avec tout ce qui est hydrocarbures. Et aussi les substances que l’on invente avec la chimie. La chimie, c’est génial mais voilà, il y a des substances qui se dégradent rapidement et tout va bien. Et puis il y a toutes celles qui s’accumulent. L’exemple qu’on connait plus c’est les CFC où on crée une molécule qui répond à un besoin qu’on considère comme étant géniale. Le gars qui a inventé cette molécule a failli avoir un prix Nobel et après, 30 ans plus tard, on se rend compte que l’accumulation de ces substances dans la biosphère va dégrader la couche d’ozone et la couche d’ozone c’est ce qui nous empêche d’être cuit comme un œuf.
Limiter la dégradation physique des ressources
Troisième façon de se créer des problèmes, c’est la dégradation par les moyens physiques. Par exemple l’étalement urbain auquel on ne pense pas si souvent que ça mais en France c’est l’équivalent d’un département tous les 10 ans pris par les constructions ou l’étalement urbain.
C’est aussi ce qui est surpêche et toutes les ressources renouvelables qui sont prises à une telle vitesse qu’elles n’ont pas le temps de se renouveler. Ce sont les ressources types carrière, ressources aquifère qui peuvent être effectivement surexploitées qui n’ont pas le temps de se renouveler.
Ne pas empêcher les individus de subvenir à leurs besoins
Et quatrième principe : permettre à l’ensemble des individus de subvenir à leurs besoins. Et là quand on dit ça, ce n’est pas la société des bisounours. C’est une société dans laquelle on n’abuse pas d’un pouvoir, politique, économique ou environnemental qui fait que l’on empêche un individu ou un groupe d’individus de subvenir à leurs besoins. On s’inspire des travaux de Manfred Max-Neef sur les besoins humains. Il propose 9 besoins humains fondamentaux à considérer d’une manière systémique.
Un exemple
C’est une grosse PME de 650 collaborateurs, le Groupe MILLET qui fait des portes et des fenêtres sur mesure qui a été mon premier client en France puisqu’on avait démarré avec eux en 2005. C’était une situation d’entreprise familiale au moment où il y a une transmission entre le père et le fils. Le fils à peine la trentaine dit ok, je veux bien reprendre l’entreprise mais j’ai besoin d’intégrer un certain nombre de valeurs et notamment ces clés de développement durable.
Dans un premier temps, il a travaillé tout seul, en disant je suis le dirigeant, j’ai des idées, j’y vais. Et puis il a été confronté à une réaction négative de la part de ses collaborateurs. C’est à ce moment-là qu’on s’est rencontré, et sa demande c’était de dire comment est-ce que je mets le développement durable au coeur de l’entreprise ?
On a travaillé avec eux et ça s’est vite mis en place. La première clé : ils ont écrit leur vision en inscrivant cette clé de développement durable.
Ils ont mis en place des centaines d’actions, des petits pas, pleins de petits pas, et puis aussi, des grands pas, c’est-à-dire qu’ils ont identifié, au regard des 4 principes, quels étaient les défis que devaient relever cette entreprise, en lien avec leurs visions qui s’inscrit avec les 4 principes. Par exemple ils ont mis en place tout de suite ce qu’ils ont appelé l’Eco-retour. 80% de leur marché, ce sont des portes et des fenêtres qui sont remplacées.
Ils ont décidé de récupérer toutes les fenêtres qui sont remplacés. Voilà, ça a créé un petit moment de couac dans l’entreprise puisque du coup ils ont récupérer plein de choses très différentes en se disant : qu’est ce qu’on en fait ? Et ils ont réussi à créer des granites de pvc qui leurs permettent de reprendre les cadres.
Ils ont aussi, par exemple, pour tout ce qui était des portes et des fenêtres en bois, réussi à réutiliser le bois en travaillant avec une entreprise design de Nantes qui fait des petits sièges, des petits tabourets qui reprennent les moulures de bois directement parce que ça fait des objets design qui repartent à l’autre bout du monde !
3 conseils pour être prêts pour le futur
- S’ouvrir à la réalité, cette dure réalité qu’on n’a pas envie de voir. On a beaucoup de systèmes qui sont très dégradés. Je pense qu’on a une forme de déni, d’aveuglement car c’est dur à voir. Moi j’ai envie de dire : regardez cela.
- Se préparer à d’autres manières de voir le monde. La clé, c’est vraiment une manière de se reprogrammer au niveau vision, regardez le monde différemment.
- Se mettre en mouvement. Si je suis encore active et enthousiaste c’est parce que je crois que tout est à inventer. Quand on est allé sur la lune, on a décidé et on a mis 10 ans pour y aller. j’ai envie de savoir quand est ce qu’on décide de se mettre dans les starting block le jour où on décidera que c’est une vraie opportunité. C’est une vraie clé qui peut résoudre à la fois nos enjeux économique, sociaux, du bien vivre ensemble et créer des opportunités riches humainement en terme de manière de vivre, de mode de vie, inventer d’autres manière de répondre à nos besoins.