L’école 42, pépinière de talents informatiques à la française
C’est à l’école 42, en marge d’une conférence que j’ai eu l’occasion d’y donner, que j’ai pu rencontrer Jean-Baptiste Prunel. Vous avez probablement entendu parler de 42, cette école à la pédagogie nouvelle qui cherche à former les informaticiens de demain. Si j’ai pu y aller comme conférencier, j’y serais interdit comme étudiant : il faut avoir entre 18 et 30 ans pour entrer !
Jean-Baptiste, lui, y est entré. Et jusque très récemment, il était outreach officer chez Ledger, une réussite à la française qui est aujourd’hui leader de la sécurité des cryptomonnaies. Lancée en 2014, la startup n’a eu besoin que de quatre ans pour lever, début 2018, près de 61 millions d’euros afin de développer de nouveaux produits et d’affirmer son positionnement mondial. Une histoire exceptionnelle à laquelle mon interviewé participe tous les jours.
Mais avant de parler cryptomonnaies, parlons d’un autre sujet tout aussi intéressant : l’école 42. Même si les médias s’en sont fait l’écho, connaissez-vous vraiment ce centre d’où le prochain Steve Jobs pourrait bien sortir ?
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(jusqu’à la 17e minute)
Comment devient-on étudiant à 42 ?
Son nom inspirée de la célèbre « réponse à tout » du Guide du voyageur galactique, 42 n’est bien entendu pas la première école d’informatique à voir le jour en France. Son concept, cependant, est tout nouveau. L’école n’a ni cours, ni professeurs permanents. À la place, les étudiants ont des projets et des exercices à compléter, tandis qu’une équipe pédagogique assistée de scripts impitoyables évalue le travail effectué. Les étudiants peuvent aussi assister à des conférences et s’initier, par l’entraînement, à des paradigmes comme la programmation orientée objet ou découvrir des domaines entiers tels que la sécurité ou l’administration réseau.
Quand un étudiant réussit, il gagne des points d’expérience. Réussir des entraînements lui permet d’accéder à d’autres entraînements ou niveaux. Pour tous les réussir, cela prend entre 2 et 5 ans, et si on finit un niveau assez élevé, on peut prétendre à un équivalent bac+3 ou bac+5. Si on finit le dernier niveau, on a terminé l’école. Un peu comme un (très long) jeu vidéo.
« 42, c’est d’abord une école pratique », affirme Jean-Baptiste. Outre le codage, la programmation et l’informatique proprement dite, on y gagne aussi des « savoirs comportementaux » comme le travail coopératif et horizontal. Pour y arriver, pas de micromanagement, mais de la ténacité. L’école est nouvelle, pourtant ses recettes s’apparentes à ce qui marche chez les entrepreneurs en général.
Mais commençons par le commencement : comment devient-on étudiant à 42 ?
L’entrée se fait en deux étapes. D’abord, on fait un test en ligne. L’épreuve prend environ quatre heures et peut être effectuée n’importe quand, même en plein milieu de la nuit si on le souhaite. Elle consiste essentiellement en problèmes logiques, qui peuvent faire penser à certains exercices du test de QI, mais ressemblent surtout aux problèmes que rencontre ordinairement un programmeur ou un codeur. La devise de l’école, « born2code », occasionnellement remplacée par en « born2hack » lors de compétition de hackers, est assez claire. À ce jour, près de 50 000 personnes auraient tenté le test Internet chaque année. Sur tous ces candidats, 3 000 sont sélectionnés.
Si on a la chance de l’être, on reçoit une invitation à se choisir une piscine. Le mot désigne une session d’un mois, à faire dans les locaux de 42, où l’on travaille sur divers projets et exercises sous l’œil vigilant d’une équipe d’évaluateurs humains et de scripts d’évaluation semi-automatisés. Une épreuve redoutée et, de l’aveu de Jean-Baptiste, difficile, mais où « on apprend ce qu’est le travail sous pression » façon marathon et où « on découvre ses capacités de travail et ses futurs amis ».
42 organise de deux à trois piscines par an. Environ 800 personnes y sont invitées. Comme l’explique un membre de l’équipe pédagogique, un tiers des candidats abandonne avant la fin de l’épreuve, un tiers est refusé et le dernier tiers est admis.
Cependant, ajoute Jean-Baptiste, à la fin de la première année, on ne trouve à 42 que la moitié des étudiants admis à l’issue de la piscine. Certains abandonnent parce qu’ils trouvent le rythme général trop dur, en particulier au cours des quatre premiers mois. Plus tard, ceux qui quittent l’école avant d’obtenir un diplôme ou équivalent le font pour de toutes autres raisons.
L’école de la seconde chance devenue une référence
En 2015, deux ans après que 42 ait ouvert ses portes, l’établissement était appelé une « école de la seconde chance » avec une nuance de dédain certainement pas là par hasard. La première année, une bonne partie des candidats avaient déjà passé plusieurs années dans l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, fin 2018, l’école a gagné en réputation et une bonne partie des candidats viennent directement du lycée.
Seuls critères de sélection : l’âge (chose gênante dans mon cas !) et la réussite aux tests. Aucun diplôme n’est requis pour entrer, pas même le brevet des collèges. L’école est aussi entièrement gratuite, tous ses coûts de fonctionnement étant couverts personnellement par le multimilliardaire et co-fondateur Xavier Niel jusqu’en 2023. Les étudiants ne payent que pour leur sécurité sociale, à peine une centaine d’euros par an, et même cette faible dépense peut être couverte par une bourse du CROUS.
Les fondateurs attendent des ex-étudiants qui auront réussi à monter leur start-up ou à trouver un bon emploi qu’ils reversent leur taxe d’apprentissage ou fassent des dons à 42, juridiquement une organisation sans but lucratif. « Je pense que ça va marcher », commente Jean-Baptiste.
L’école s’appuie sur un modèle économique peu cher. Elle est remplie d’iMac et a une équipe éducative, mais pas d’enseignants. « Même si on devait payer nos études, le prix resterait bas », affirme Jean-Baptiste. Le coût par étudiant serait d’environ 2 000 euros par an, soit un coût très inférieur à la moyenne des établissements d’enseignement supérieur, où un étudiant moyen coûterait près de 11 260 € chaque année (chiffres 2010 et 2015), pour des résultats souvent discutables.
« La piscine n’évalue pas si vous êtes bon à coder ou pas », me dit Jean-Baptiste, « mais si vous êtes capable d’apprendre, de vraiment travailler, et de le faire en coopération avec d’autres comme en équipe ».
La formule a eu suffisamment de succès pour faire florès. 42 Silicon Valley va ouvrir à Fremont, en Californie, soit une exportation exceptionnelle de la France vers les États-Unis – soyons honnêtes, c’est généralement la France qui reprend ce qui vient d’Amérique plutôt que l’inverse – et Xavier Niel a également annoncé l’ouverture d’écoles en Algérie et au Maroc pour répondre à la demande d’informatique délocalisé. L’école marocaine devrait s’appeler 1337. Si vous comprenez la référence, vous avez peut-être vos chances dans l’une de ces écoles…!
Qu’y a-t-il de si bien à 42 ?
Ce genre de trajectoire laisse des souvenirs notables. Quand je demande à Jean-Baptiste de me citer ses trois meilleurs et ses trois pires souvenirs de 42, voici sa réponse :
1. Dormir en sommeil polyphasé. Tout au long de sa piscine, il a dormir quatre heures par nuit et vingt minutes trois fois par jour. Rythme qu’il a maintenu cinq semaines, dont « une semaine avant le début de la piscine pour arriver prêt ».
Toutes les étapes du sommeil classique ne se valent pas. Selon ses partisans, le sommeil polyphasique ou polyphasé permet d’arriver plus vite au sommeil paradoxal, crucial pour la récupération, et on pourrait ainsi avoir autant de sommeil paradoxal qu’un dormeur normal tout en dormant moins, soit autant de temps de gagné.
En tentant l’expérience, Jean-Baptiste s’est rendu compte que cela fonctionnait et qu’il arrivait à tenir un rythme de travail stupéfiant de 19 heures par jour. « C’était intéressant à tenter et gratifiant de voir que je pouvais y arriver, donc c’est un bon souvenir. » Une fois l’épreuve passée, il est revenu à un rythme de sommeil normal car les siestes fréquentes rendent la vie sociale difficile à maintenir.
2. Parler philosophie avec une « nageuse ». Biologiste de formation et aujourd’hui amie de l’ancien étudiant, elle participait elle aussi à la piscine, et les deux ont échangé sur le sens de la vie et d’autres sujets hautement spéculatifs mais non moins intéressants. Selon Jean-Baptiste, c’est non seulement un très bon souvenir, qui détonne au milieu des longues sessions de C, mais aussi une preuve du haut niveau de 42. « Plus tard, j’ai eu beaucoup de conversations comme celle-ci avec d’autres étudiants », ajoute-t-il avec malice.

Xavier Niel faisant faire le tour de l’école à François Hollande. On remarquera l’étudiant endormi à droite…
3. « Je n’ai pas de troisième meilleur souvenir, désolé ! » Après tout, rester hors des cadres classiques fait partie de l’esprit 42.
En ce qui concerne les mauvais souvenirs, Jean-Baptiste en a surtout un à l’esprit : la nourriture. « Quand on travaille autant, on n’a pas le temps de cuisiner. Parfois on arrive à obtenir de la nourriture fraîche ou à avoir des stratégies, mais tôt ou tard, on mange facile et pas cher, donc mal. »
Quand le pool des étudiants se stabilise et que les pressions sélectives se font moins sentir, beaucoup d’étudiants quittent l’école avant l’équivalent du diplôme. Cette fois, cependant, ils ne le font pas par échec ; ils le font parce qu’ils sont embauchés. Des grands noms comme Google ont des représentants à 42. Et quand on a moins de 25 ans et qu’on se voit proposer un emploi « à plein temps et bien payé » dans une entreprise connue, il est rare que l’on refuse.
Ce qui bouge dans une ville
C’est presque ce qui est arrivé à Jean-Baptiste. Lui est resté à 42 pour six mois, puis a quitté l’école pour monter sa propre start-up. Poleon.co a vu le jour pour suivre « ce qui bouge dans une ville ». Vélos, gens, événements : à l’aide d’un programme intégrant de l’apprentissage automatisé (machine learning), Poleon.co prédisait où ce qui bouge serait à un instant futur. Ainsi, le programme a suivi et tenté de prédire le nombre de vélibs disponibles à une station Vélib de Belleville (graphique ci-dessous). De quoi offrir un suivi et des prédictions pointues aux clients de la startup, pour que ceux-ci « adaptent leur stocks et leur tarifs de façon dynamique et restent au plus près du marché ».
L’idée était bonne. Le contexte, lui, ne l’était pas. « On peut obtenir facilement certaines données de sources officielles, par exemple des mairies ou des préfectures, mais avoir des données structurées, précises et surtout en temps réel, c’est beaucoup plus difficile. » Les données d’origine officielle étaient trop peu structurées et surtout données trop peu régulièrement pour qu’on puisse en tirer des conclusions. Faute de perspectives plus prometteuses à court et moyen terme, l’entreprise a dû cesser ses activités.
La tentative Poleon ne s’est pourtant pas faite en pure perte. Elle a permis à Jean-Baptiste de devenir « plus attentif aux problèmes » et moins aux projets en eux-mêmes, acquis effectivement précieux mais loin d’aller de soi quand on est jeune. De plus, en tant de directeur de l’entreprise, mon interviewé a appris à « motiver les gens pour travailler en équipe et surtout vers un but commun ».
C’est à ce moment précis que je me suis souvenu de notre point de départ. En effet, j’ai invité Jean-Baptiste Prunel sur mon canapé afin de parler cryptomonnaie. L’école 42 et la belle tentative de suivi des villes en temps réel m’ont assez passionné pour en parler plus longtemps que je ne l’aurais pensé. Comme vous l’aurez peut-être remarqué, l’interview est exceptionnellement longue et c’est pour faire justice à ces pépinières que j’ai décidé de la couper en deux.
Retrouvez la suite au prochain article, où nous parlerons bien de ce domaine captivant qu’est la cryptographie et surtout des cryptomonnaies. (Promis, j’y veille !) Que vous soyez passé maître dans l’échange de « cryptos » sur les plateformes de trading ou tout à fait débutant, si le succès du BitCoin vous a fasciné, vous ne voudrez pas manquer ça.
Pour en savoir plus sur l’école 42 de Paris, sur 42 Silicon Valley (en anglais), ou sur l’initiative Big Data de Poleon.co, vous pouvez consulter leurs sites web respectifs.